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La pédagogie Loczy
Article du 15 mars 2018
MagaZEN : Qu’est-ce que la pédagogie Loczy ? D’où vient-elle ?
Audrey Borgne : Plutôt que de pédagogie Loczy, je parlerai d’approche piklérienne, du nom de celle qui en est à l’origine, Emmi Pikler. Pédiatre hongroise, elle ouvre en 1946 une pouponnière à Budapest, l’Institut Loczy (nom de la rue où il était situé), pour recueillir des enfants orphelins ou abandonnés. Cette approche a contribué à réduire le « syndrome de l’hospitalisme » mis en évidence par René Spitz. Ce syndrome peut être défini comme « l'ensemble des troubles physiques dus à une carence affective par privation de la mère survenant chez les jeunes enfants placés en institution dans les dix-huit premiers mois de la vie »1.
Pour éradiquer les carences affectives des enfants placés en institution, Emmi Pikler met en œuvre une approche novatrice : elle offre des conditions d’accueil fondées sur le respect de l’enfant, en le considérant en tant que personne. Elle met aussi en lumière les compétences innées du nourrisson.
Trois principes caractérisent plus particulièrement son approche :
• Activité libre et autonome appelée « motricité libre ». En s’appuyant sur sa connaissance de l’enfant, Emmi Pikler met en évidence qu’un nourrisson « sain » n’a nul besoin de l’intervention d’un adulte pour apprendre à marcher ou se mettre assis par exemple.
• Importance du soin. En répondant à ses besoins de sécurité affective, la qualité apportée aux soins (change, habillage, repas, coucher) rend l’enfant capable de faire ses propres expériences et découvrir le monde par lui-même.
• Mise en oeuvre de la « référence » dans un cadre institutionnel. La « référence » est la relation interpersonnelle, stable et continue qu’un enfant peut développer avec un nombre restreint de personnes connues. Cette relation affective privilégiée vient aussi répondre à ses besoins de sécurité affective.
MagaZEN : A quelle tranche d’âge est-elle destinée ?
AB : Cette approche est principalement destinée aux enfants de 0 à 3 ans.
MagaZEN : De quelle manière la mettez-vous en pratique au quotidien en crèche ?
AB : Nous mettons en œuvre cette approche en crèche en respectant les principes énoncés précédemment. Voici comment pour les bébés.
En ce qui concerne l’activité libre et autonome, les bébés sont installés au sol sur un tapis avec quelques hochets à leur disposition (ils leur sont proposés en fonction de leurs acquisitions en cours). Nous évitons de mettre des hochets trop lourds ou des jeux qui roulent si l’enfant ne se déplace pas encore. Nous n’utilisons pas de transat : l’enfant reste libre de ses mouvements.
Pour l’importance du soin, les professionnel.le.s prennent les bébés dans leurs bras pour leur donner les repas ; les échanges de regards, de gestes et de paroles sont centrés sur l’enfant. Les différents soins (change-repas-coucher ou repas-change-coucher) sont donnés par la même personne pour en assurer à l’enfant la qualité et la continuité. (Un enfant plus grand prend son repas à table seul, puis avec un autre enfant et enfin en petit groupe.)
Avant de porter un enfant (« portage physique »), nous le lui expliquons pour lui permettre d’anticiper le mouvement et d’être ainsi rassuré (« portage psychique »).
La répétition à l’identique de nos pratiques permet à l’enfant d’anticiper les temps de soins et par la suite d’y participer, d’être acteur de son propre développement.
L’organisation générale est pensée de sorte que les bébés aient une « référence » à la journée. Ainsi, c’est la même personne qui leur donne les repas et qui s’occupe de les changer et de les coucher. Ce système permet d’éviter à l’enfant plusieurs séparations durant la journée. Les professionnel.le.s deviennent ainsi rapidement des repères physiques autant que psychiques.
MagaZEN : Pensez-vous que l’approche Piklerienne puisse être adaptée au milieu familial ?
AB : Oui, dans la mesure où c’est la même personne qui s’occupe de l’enfant durant ses journées à domicile.
Il est tout à fait possible de favoriser la motricité libre au sein de son domicile et d’assurer une continuité dans les soins apportés à l’enfant.
Il est important de faire confiance aux compétences de l’enfant. Plus l’enfant a des repères fixes et stables, plus il est en capacité de se détacher de l’adulte pour aller explorer le monde.
Interview d’Audrey Borgne, responsable de micro-crèche Zazzen à Lyon
Propos recueillis par Anne-Cécile Langet, éducatrice de jeunes enfants