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Interview de Juliette Compagnion
Article du 3 septembre 2018
MagaZEN : Depuis quand s’intéresse-t-on à l’enfant ? Comment a évolué sa place au fil des siècles et des civilisations ?
Juliette Compagnion : L’enfant, dans notre conscience collective, commence à peine à exister. Dans nos livres d’Histoire, l’enfant n’apparaît pratiquement jamais. Il est « le citoyen oublié » disait Maria Montessori. A certaines époques, il était considéré comme un animal, ou comme propriété du collectif. Au moment de la révolution industrielle, petit d’âge et de taille, il travaille dans les filatures et les mines, où il meurt parfois. L’éducation ne devient un vrai sujet qu’au 20e siècle avec des pédagogues mettant l’observation de l’enfant et de ses besoins au cœur de leurs pratiques, plutôt que l’imitation de l’éducation reçue pour un but fixé d’avance.
MagaZEN : Que sait-on maintenant grâce aux neurosciences du développement et des besoins du bébé ?
JC : Les neurosciences permettent aujourd’hui de démontrer scientifiquement ce que les pédagogues et de nombreux parents observaient déjà : l’enfant qui arrive au monde n’a pas toutes les capacités physiques, psychiques et émotionnelles des adultes. Son développement n’est pas achevé, certaines fonctions centrales n’existent même pas. L’instinct de survie par exemple est très présent (l’amygdale, qui fonctionnerait comme un système d'alerte, est développée), mais les moyens physiologiques de se maîtriser ne sont pas prêts dans le cerveau limbique et le néocortex.
MagaZEN : Quelle attitude éducative est donc à privilégier pour soutenir ce petit enfant en construction ?
JC : Il est absolument essentiel de comprendre cette immaturité physiologique : un enfant submergé par la peur, la colère ou la tristesse, NE PEUT PAS se calmer seul. Il ne fait pas « exprès », il est submergé par des manifestations qu’il est incapable de gérer. Le punir ou le menacer augmente le déferlement « d’hormones du stress » dans son corps. Il est nécessaire de cheminer avec lui dans la maturation de ses capacités. Pour cela, on le guide par l’exemple (rester calme, gérer sa propre frustration, etc.) car l’enfant absorbe le « mode d’emploi » de ceux qui l’entourent, et on lui donne des signes d’amour, de sécurité (le prendre dans les bras, le bercer, lui parler à voix douce) pour lui permettre de retrouver son calme. On l’aide en l’entourant et en le protégeant ; petit à petit il parvient à trouver le chemin du retour à l’équilibre, à l’intérieur de lui.
MagaZEN : Merci pour ce décodage, qui nous éclaire sur la fragilité du bébé, à considérer dans notre approche. Pouvez-vous nous parler de sa force aussi ?
JC : Si l’enfant est d’une grande fragilité, il est aussi habité par une force prodigieuse qui le pousse irrésistiblement à grandir. Il se relève 3000 fois avant de marcher ! Il apprend une langue en quelques mois !… il se « fait » en « s’accordant » au monde qui l’entoure, poussé par cette « force d’élévation ». Il est comme la graine développant une force considérable pour devenir arbre ET ayant déjà son plan de développement. Cette force n’est pas aveugle, elle le guide vers sa réalisation. Pas plus que le jardinier « n’explique » à la graine comment se rendre souple, s’ouvrir, développer racines, tiges et branches, pas plus qu’il ne décide qu’elle deviendra chêne ou rosier, l’éducateur veille à permettre à l’enfant de se mettre au monde lui-même. L’éducateur est attentif à l’évolution des besoins de l’enfant et à offrir l’environnement, et notamment les « nourritures » physiques, émotionnelles, psychiques, le plus propice à son développement.
MagaZEN : Quels conseils donneriez-vous pour accompagner les enfants respectueusement ?
JC : Tout d’abord respecter cet élan de déploiement en ne faisant pas à la place de l’enfant. Il a besoin de faire par lui-même dès qu’il en sent la capacité en lui. Il y élabore ses forces et sa confiance en lui. Les parents et les éducateurs doivent donc être présents et porter une attention profonde à l’enfant. Par leurs observations, ils découvriront les besoins de l’enfant, pour qui leur présence sera le roc sur lequel il s’appuiera pour se redresser et devenir Homme. Regarder nos enfants dans les yeux, accueillir leurs émotions avec présence et chaleur, leur parler avec politesse, tout cela deviendra la grammaire de leurs relations dans la vie.
MagaZEN : Quelle approche pourriez-vous nous recommander d’adopter avec les enfants lors de leur pré-adolescence et adolescence, une période redoutée par tant de parents !
JC : Comprendre que l’adolescence est une nouvelle naissance ! L’enfant qui a appris à parler, se mouvoir, se relier au monde… se retrouve face à des changements corporels et émotionnels majeurs. Son corps grandit très vite et se transforme, de nouvelles situations émotionnelles apparaissent. C’est extrêmement inconfortable, voire angoissant. Il a tout à apprendre à nouveau. S’ajoute à cela de nouveaux états d’âmes et de nouvelles questions : pourquoi le monde est-il ainsi ? Quelle est ma place ? Pour les parents, il est essentiel de ne pas prendre les « mouvements » de l’adolescent de façon personnelle. Il a besoin d’amour, de soutien et de respect aussi puissants que le nouveau-né qu’il était quelques années auparavant.
Nous vous remercions Juliette, pour cet éclairage essentiel sur l’enfance et l’éducation.
Nous sommes heureux de contribuer, avec des éducateurs tels que vous, à une culture respectueuse du déploiement des êtres humains et des forces de vie. L’enjeu est grand. Nos enfants feront la société de demain !
Pour retrouver les activités du Phare : www.genesis.education
Propos recueillis par Valérie Mirault, responsable des valeurs pédagogiques chez Zazzen